Le chien qui venge son maître
C'est l'aventure d'Aubry de Montdidier en 1871. Un jeune gentilhomme attaqué dans la foret de Bondy par des hommes qui le tuèrent et l'entraînèrent au pied d'un arbre. Son chien, dogue de forte race, le défendit avec courage et resta pendant quelques jours sur la fosse de son maître, mais, comprenant sans doute qu'un semblable crime demandait vengeance, il se décida à quitter sa place pour courir à Paris dans une maison connue de lui, où demeurait un ami intime d'Aubry.
A peine arrivé, il se mit à hurler d'une façon sinistre. On lui donna des aliments, il y toucha à peine et recommença ses cris lugubres, se précipitant contre la porte de sortie, saisissant l'ami de son maître par la manche de son habit, le suppliant, en son langage, de venir avec lui. A la fin, l'ami d'Aubry s'inquiéta.
Qu'était devenu celui avec qui il avait l'habitude de vivre, celui qu'il avait toujours aimé? Il suivit le chien, accompagné de quelques personnes. L'animal les emmena dans la forêt, s'arrêta au pied de l'arbre de lui connu, et gratta furieusement la terre avec ses pattes. On se mit à la besogne, et bientôt on découvrit le cadavre de l'infortuné, qu'on ramena à Paris.
Pendant quelque temps le chien demeura calme, mais un jour, il rencontra par hasard dans une rue un homme qu'il reconnut pour l'assassin de son maître. C'était, si l'on en croit quelques historiens, le chevalier de Macaire. II lui sauta à la gorge, et sans l'intervention des passants, il l'eût étranglé. Plusieurs fois, à de courts intervalles, à chaque rencontre fortuite du chien et de Macaire, le même fait se produisit. Les témoins s'émurent. Ce chien se montrait d'ordinaire d'une extrême douceur avec tout le monde. On se souvint que le chevalier avait maintes fois manifesté sa haine contre Aubry de Montdidier et tenu d'odieux propos sur son compte.
Quelques gentilshommes racontèrent l'aventure au roi Charles V, qui se fit amener l'animal un jour où se trouvaient près de lui beaucoup de jeunes seigneurs, parmi lesquels était le chevalier de Macaire. Le chien qui se laissait caresser par tout le monde, eut à peine aperçu cet homme qu'il s'élança sur lui et l'attaqua, furieux.
Charles V, frappé de cette circonstance, ordonna que le chevalier sur qui pesaient les soupçons combattre en champ clos contre le chien. C'était le jugement de Dieu, alors en usage. Le vainqueur était réputé avoir pour lui le bon droit, car la croyance populaire s'imaginait que la Providence eût fait un miracle plutôt que de laisser périr un innocent. Le champ clos fut donc préparé dans l'Ile Notre-Dame.
On y amena le chien, qu'on plaça dans un tonneau destiné à lui servir de retraite, et lorsque tout fut prêt le chevalier se présenta, armé d'un bâton. Le chien, apercevant son ennemi, s'élança sur lui sans hésiter, évitant adroitement ses coups et cherchant à le saisir; à un moment, serré de trop près, il se réfugia dans son tonneau, mais il ne tarda pas à en sortir et, faisant un bond prodigieux, saisit Macaire à la gorge. Le misérable avoua aussitôt son crime en présence du roi et de toute la cour. Il fut décapité quelques jours après sur le lieu du combat. Telle est la légende.