Frédéric le Grand fut toujours très occupé de ses chiens.
C'étaient des levrettes italiennes dont les historiens de sa vie ont conservé les noms. Biche et Alcmène étaient les favorites: Phillis, Thisbé, Pan, Diana, Amoretto, Superbe, leurs compagnons de jeu. Les levrettes suivaient le prince partout, même à la guerre.
Dans une de ses campagnes, Frédéric, poursuivi un jour par les Pandours, se réfugia sous un pont avec Biche qu'il tenait serrée contre sa poitrine. Le bruit le plus léger pouvait signaler aux ennemis la présence du fuyard, le moindre mouvement pouvait le trahir et lui coûter la vie. Biche comprit le danger; au lieu d'aboyer sourdement comme font toujours les chiens à l'approche des étrangers, elle se tint coi, ne poussa pas un grognement, et retint pour ainsi dire son souffle.
Quelque temps après Frédéric, allant en Silésie passer la revue annuelle de ses troupes, fut forcé de laisser Alcmène malade à Sans-Souci. Chaque jour un courrier lui apportait des nouvelles de la pauvre bête qui mourut pendant son absence. Il ordonna qu'on la déposât dans un cercueil sur une des tables de sa bibliothèque. A son retour il la contempla pendant de longues heures et pleura amèrement, puis il la fit enterrer en grande pompe.
Successivement six chiennes périrent et furent enterrées dans six terrasses de Sans-Souci; on plaça sur leurs tombes des pierres funéraires avec des inscriptions, et le monarque déclara qu'il voulait reposer au milieu de ses fidèles compagnes.
« Quand on me portera en terre, se plaisait-il à répéter, je serai sans souci. » De là le nom donné à son château fameux. Jamais sa chienne préférée ne le quittait. La nuit elle couchait dans son lit. Les autres quittaient le soir l'appartement royal et y étaient ramenés à l'heure du réveil ; ils jouissaient alors de toute liberté. Ceux-ci s'étendaient à leur aise sur les canapés ou sur les fauteuils; ceux-là déchiraient les rideaux et les tentures. Il était défendu de s'opposer aux fantaisies de ces favoris qui tous avaient un domestique spécialement attaché à leur service et qui étaient nourris avec les mets de la table royale.
Quand Frédéric allait en voyage, ses chiens le suivaient, gravement assis dans un carrosse à six chevaux; les laquais avaient l'ordre formel de leur parler avec respect, quoiqu'il leur fût permis de présenter des observations en ces termes : « Mademoiselle, je vous prie de rester tranquille et je vous conjure de ne pas aboyer si fort »