L’apprentissage cognitif ou comment empêcher un chien de s’ennuyer !

L’APPRENTISSAGE COGNITIF

Joseph ORTEGA

Lorsqu’on parle d’éducation canine, on se heurte immédiatement à deux concepts, les méthodes classiques ou les méthodes par renforcement positif. Les premières sont issues du « dressage » avec le premier club qui voit le jour en France en 1908, on utilise la contrainte douce ou dure avec des moyens de contention comme la laisse et le collier.
Les secondes, comme la Méthode Naturelle, ne vont employer aucune pression de la voix, de la main ou par du matériel, on incite le sujet à réfléchir et à découvrir quel intérêt il peut tirer de l’exécution, tout en partageant une complicité avec le maître. Bien entendu on parle ici de l’éducation de chiens normaux et non de chiens à problèmes… On peut définir rapidement un chien qui n'est pas normal: il ne joue pas et n'est pas gourmand!

De la théorie à la pratique

Il ne s’agit pas de faire des essais et d’agir de manière empirique, parce que le truc a marché avec un chien X, chaque chien est différent et des lois scientifiques existent pour comprendre les mécanismes de l’apprentissage.

La mise au point des théories de l’apprentissage revient en premier lieu à Edward L. Thorndike qui rédige « Educationnal psychology » (la psychologie de l’éducation), à partir d’expériences faites sur différents animaux.
Pour cet apprentissage par essai et erreur, d’où il extrait la loi de l’effet, il suffit de se représenter un chien enfermé dans une pièce, le maître est à l’extérieur (ou de la nourriture s’il n’a rien mangé depuis quelques jours), pour tenter de sortir il va avoir des comportements exploratoires sur les murs, la fenêtre, la porte, puis par hasard sa patte va se poser sur la poignée de porte et il pourra sortir. Au bout d’un certain nombre d’essais, il parviendra à ouvrir la porte dés qu’il sera dans la pièce. L’apprentissage est terminé.
L’apprentissage associatif existe chez tous les êtres vivants, une association entre les effets obtenus et la cause. Si la cause apparaît, l’individu peut alors anticiper l’effet par un comportement adapté.

On trouve deux types d’apprentissage associatif : le conditionnement classique et le conditionnement instrumental.

La Méthode Naturelle est un apprentissage cognitif dans la mesure où elle va utiliser la réflexion et l’intelligence, en préparant des situations qui mettent en jeu de manière naturelle la formation de concepts pour la résolution des problèmes.

Dans le comportement adaptatif des animaux la sélection naturelle crée des individus qui tendent à être performants dans la survie et la reproduction : recherche de nourriture (la base de la Méthode Naturelle), de partenaires sociaux (complicité avec le maître), de communication sociale, pour éviter les prédateurs, rechercher un habitat, élever les petits et les éduquer, etc. Si l’on compare avec les canidés sauvages comme le loup, le chien domestique n’a pas grand-chose à faire tout au long de sa journée, et il s’ennuie, ce qui va engendrer des problèmes de comportements. L’objectif sera donc d’éviter d’exercer des contraintes qui augmentent encore l’angoisse et le stress, et de l’inciter à utiliser, à mobiliser ses sens et ses instincts pour obtenir un bénéfice, c’est à dire fournir un jeu distrayant, qui permet sans s’en rendre compte de faire des acquisitions d’apprentissages qui seront utiles, tout en renforçant la relation avec le maître.

« Il me parait impossible de ne pas reconnaître que le principe qui les meut dans leurs actions est un principe intelligent qui est le produit des sensations et de la mémoire » Charles Georges Leroy

La cognition, c’est quoi ?

On peut la définir comme un ensemble de processus mentaux, tels la perception, la mémorisation, le raisonnement et la résolution des problèmes. Un processus d’acquisition de connaissances pour des espèces qui sont capables de sentir, de percevoir, d’apprendre, de se rappeler, et de penser…
Elle va constituer une somme d’activités mentales qui nécessitent l’acquisition, le stockage, la récupération et l’utilisation de connaissances. Avec la clef de la méthode positive, la contrainte motivationnelle qui est un ensemble de sensations psychiques d’incitation à l’action, associé à l’agréable, le plaisir d’exécuter.

Intelligence et émotion

Les activités cognitives servent à acquérir des connaissances, à les mémoriser et à les utiliser par rapport à sa propre culture pour résoudre les problèmes de la vie quotidienne et pour s’adapter rapidement au milieu. Selon Piaget l’intelligence se développe par assimilation et accommodation de schèmes (le schème est une unité de base de l’intellect, des structures cognitives avec des idées organisées qui se développent et se modifient au fil des épreuves). Pour que l’apprentissage de stratégies soit transférable à d’autres contextes, il doit apprendre quand, comment et pourquoi elles sont utiles.

En ce qui concerne les échanges avec le maître, en tant qu’animal social les relations entre individus impliquent dominants, subordonnés, immatures, alliés ou ennemis, avec des liens inter référentiels, des associations entre catégorie pour la survie. Les jeunes reçoivent l’enseignement des parents et des autres membres du groupe avec, avec la faculté de mémoriser ce qui sera essentiel.

S’il s’agit des parents par exemple, dans leur comportement d’individu modèles, il y a l’intention d’agir de manière à affecter soit ce que les jeunes font, soit ce qu’ils pensent. Dans l’apprentissage par imitation, l’individu va reproduire le comportement de l’autre pour obtenir le même bénéfice (récompense ou sauvegarde d’un danger).

Il existe aussi l’apprentissage vicariant, où cette fois l’individu observe, assimile l’information, puis reproduit le comportement sans que le modèle soit présent.

N’oublions pas que dans les rapports chien-maître, le maître est un modèle positif ou non, même s’il n’en a pas conscience. La modélisation implique que le comportement de l’élève imite en se construisant un modèle mental des processus nécessaires à la réalisation d’une tâche. Le maître sert au guidage (coaching), il doit offrir des pistes de réflexion, des modèles, des expériences dont le but est d’améliorer les performances de son élève. Des habiletés et des compétences diverses dans plusieurs domaines.

L’éducation c’est faire acquérir des connaissances qui seront réutilisables éventuellement dans d’autres contextes, par le phénomène de la généralisation.
Des aptitudes cognitives spécifiques où la mémoire à long terme sera mise à contribution, en faisant appel aux connaissances antérieures, en les comparant et en les adaptant.

L’émotion

Dans l’apprentissage il ne faut pas oublier que la perception des émotions l’emporte sur les autres processus perceptifs (le fait que l’ancêtre du chien, le loup, soit craintif, cela lui permet de sauver sa vie). Le chien domestique doit évoluer en équilibre avec le milieu des humains qui est souvent très stressant.

Il faut la conscience de soi et la possibilité d’identifier ses émotions. La maîtrise de ses émotions. Etre capable de canaliser les émotions pour pouvoir se concentrer, se maîtriser, s’auto motiver. Cela n’empêchera pas la perception émotionnelle de l’autre à partir de signaux subtils, ce que l’on nomme « empathie ».

Le chien est un individu social, seul il n’est rien, il a cette faculté de comprendre les expressions émotives les plus légères, les signes, les mimiques qui transmettent un message qu’il soit de mécontentement, de stress, de peine ou de joie.
Des systèmes de communication qu’il maîtrise mieux que nous avec l’obligation liée à la survie, de se comprendre entre individu.
Ce problème de langage et donc de communication qui fait défaut à l’homme pour saisir l’émotionnel, va engendrer des incompréhensions. Le chien étant considéré comme un humain, avec les mêmes besoins : nourriture humaine, friandise humaine (chocolat, sucre), chauffage, couverture, habits, promenade dans les bras, dormir dans le lit ou dans « son » fauteuil… Cet anthropomorphisme qui donne tant de sociopathies (pathologie où l’organisation du groupe social est altérée)

Psychologie cognitive

Selon Dennett et sa stratégie intentionnelle, on peut présupposer une rationalité de l’animal à interpréter, connaître la situation, en tirer avantage ou inconvénient, ce qu’il pense, l’événement qu’il remarque, anticipe ou désire. Il peut former des représentations et les utiliser dans ses comportements : ce qui se passe « en soi » et « hors soi ». Chaque animal est apte à établir dans sa tête une carte cognitive qui lui permet d’enregistrer ses trajets et de retrouver les lieux importants : tanière, zone de nourrissage ou d’abreuvement, endroits fréquentés par les prédateurs…

Dans les tests de détour où on place un obstacle (grillage) entre le sujet et ce qu’il convoite (nourriture), le chien s’en tire bien, même si on passe au labyrinthe.

Le behaviorisme ou comportementalisme, que l’on doit à Watson, Thorndike, Hull, Skinner, ne se préoccupe que des conduites observables et non des états mentaux du sujet, pour eux la base des conduites est le conditionnement, c'est-à-dire l’apprentissage par association entre un stimulus et une réponse. Le comportement est le résultat d’une chaîne de reflexes conditionnés renforcés par la répétition et se combinant pour déterminer des conduites complexes.

« L’acte animal est le résultat d’un apprentissage à partir d’une succession d’essais et d’erreurs corrigés par l’expérience » Jennings

On retiendra néanmoins l’efficacité du conditionnement instrumental ou opérant (que l’on doit surtout à Skinner), basé sur le principe qu’un comportement qui est renforcé par quelque chose d’agréable a plus de chance de se manifester.

La psychologie cognitive a été crée en réaction au béhaviorisme en prenant en compte chez le sujet : les acquisitions sensorielles, la représentation mentale fabriquée par expérience, le traitement de l’information en étapes séquentielles et la possibilité de les utiliser.

Le concept de résilience

C’est la capacité de vivre, de se développer, en surmontant les chocs traumatiques (qui sont nombreux dans le milieu de vie des humains, surtout en ville), ce qui implique que l’individu est capable d’utiliser ce qu’il a appris pour surmonter les difficultés liées à l’environnement. D’où l’importance de la résistance au stress précoce grâce à l’école du chiot.

En apprentissage, c’est ce que je nomme l’endurcissement. On ne se contente pas d’exercices stéréotypés, souvent copiés sur les règlements de concours, on va faire des approches diverses de ceux-ci en faisant preuve d’imagination. Par exemple le rappel, ne se fera pas uniquement face au chien en étant debout, mais à plat-ventre au sol, sur une échelle, dans la voiture, sur un vélo qui roule, en étant sous une bâche, en étant déguisé, etc. un des grands principes de la Méthode Naturelle, c’est : « jamais deux fois la même manière d’aborder un exercice ! ».

Ceci implique également la notion d’individu, chaque chien est différent et l’apprentissage doit s’adapter, il n’y a pas comme le pensent souvent les pratiquants de la méthode classique, des lois universelles s’appliquant de la même façon à tous (imaginez que l’on prenne en éducation le modèle du malinois pour l’appliquer à un Tosa Inu !).

En apprentissage cognitif on observe d’un point de vue physiologique l’activation des neurones lors de stimuli prédicateurs de récompenses, ce qui engendre des réactions d’attention, d’orientation et d’approche. La dopamine qui est produite par les neurones agit comme neurotransmetteur et neuromodulateur, les systèmes dopaminergiques étant en partie responsables de la motivation, du contrôle des comportements, de la cognition, de l’attention et de l’apprentissage.

Lorsqu’on pose un problème à résoudre le sujet doit pouvoir trouver une solution originale qui est pratique et utile, il doit mettre au point une stratégie fluide, flexible et adaptée. Les essais et les erreurs vont être autant de rétroactions qui vont construire une expérience supplémentaire, l’entraînement à la réflexion a des effets bénéfiques sur l’apprentissage.

L'éducation intelligente.

<< Quelques-unes des réponses des mammifères sont des réflexes, mais le caractère fondamental des fonctions de la substance grise corticale est qu'une partie du comportement de l'animal n'est pas innée mais apprise au cours de la vie. Les actions des mammifères sont, dans une grande mesure, déterminées par l'expérience. L'intelligence, au sens large du mot, est un attribut des mammifères. >>
Alfred S. ROMER

Depuis la pensée aristotélicienne qui annonçait l'étude du comportement, nous avons vu que l'école objectiviste de LORENZ, TINBERGEN vers 1935 et les behavioristes ont permis l'écoute attentive de la manière d'être et d'agir des animaux et des hommes (qui sont aussi des animaux), des manifestations objectives de leur activité globale. Ces études sont parfois compliquées et leur compilation exige de jongler avec des termes assez complexes issus principalement des deux pays possédant le plus grand nombre de chercheurs dans ce domaine: les pays anglo-saxons et germaniques.

C'est ainsi que si on prend, par exemple, la théorie de VON VEXKULL, on parlera, pour l'espèce canine, du "merkwelt" ou monde sensible, sur lequel elle agit par l'intermédiaire de son "wirkwelt" (monde des motricités), l'ensemble formant le umwelt ou monde total caractéristique de l'espèce.

De même que W. Köhler et sa gestaltthéorie ou psychologie de la forme dont le mot gestalt a été traduit par forme, structure, organisation, etc. sans arriver à en définir exactement le sens.

En France, nous avons des études du fondateur de l'éthologie dans notre pays: Pierre-Paul Grassé ou bien Rémy Chauvin. Pour ma part, j'ai préféré faire une synthèse de toutes recherches en l'adaptant à ma propre expérience sur les canidés en général et le loup et le chien en particulier, en choisissant des mots simples que tous les amateurs et les utilisateurs que je côtoie régulièrement (puisque j'en fait partie) comprennent; vulgarisation et abord de l'éthologie canine qui n'existaient pas il y a encore quelques années en France et qu'il a fallu créer dans les années 70 (voir mes premiers articles dans « le berger allemand » qui est devenu « Sans Laisse »).

- En visitant les clubs d'utilisation, on s'aperçoit maintenant que les moniteurs commencent à utiliser un langage issu de leur lecture d'études sur le comportement dans les revues de la presse canine. On voit le chien sous une optique différente en prenant garde à la personnalité de celui-ci et en construisant des méthodes rationnelles adaptées, au lieu d'éduquer tous les chiens de la même manière, dans un carcan d'exercices souvent brutal ne tenant pas compte du sujet, du sexe, des caractéristiques raciales.

Il faut se réjouir de cet état de chose et faire fi de toutes les glorioles au bénéfice du chien, car l'essentiel est qu'il soit mieux compris et mieux utilisé, même si, au passage, on doit déplaire à quelques grincheux réfractaires à tout ce qui ne vient pas de leur pauvre imagination sclérosée.

L'éducation intelligente demande des qualités de patience, de réflexion, de justice et surtout un sens de l'observation aigu afin de corriger rapidement la méthode sans corriger le chien.
En laissant de côté les procédés inhibiteurs provoquant des interférences et bloquant le travail biologique de la mémorisation, en rendant également le chien peureux, hésitant, avec ses qualités annihilées en présence du maître, on choisit la voie royale de l'accord, de la fusion entre deux espèces, deux individus, deux compagnons.

En gagnant l'empathie interspécifique, on obtient alors une participation volontaire très poussée où on voit même le chien devancer l'éducateur en cherchant à comprendre et, surtout, à faire plaisir, ne le quittant pas des yeux pour interpréter rapidement ses moindres désirs en analysant ses mimiques, ses gestes, en somme son langage non verbal.

De son côté, le maître devra investir sa volonté et sa sensibilité dans la connaissance parfaite de son animal en choisissant judicieusement tous les gestes, les mots, les récompenses qui vont le pousser à orienter son énergie vitale dans la meilleure obéissance possible.

Pour choisir une caractéristique typique, on peut citer le chien qui a de bons rapports avec son maître; c'est celui qui regarde son maître franchement sans ciller, les yeux grands ouverts, la tête tournée vers lui, quelle que soit sa position ou son éloignement.

Les chiens pensent-ils ou comment les faire réfléchir ?

Pour étudier les capacités d’apprentissage, on peut faire appel à différents tests :

Tests de discrimination visuelle
Test d’apprentissage spatial
Test d’apprentissage instrumental

Pour Pavlov (1927), l’exploration est un réflexe face à un changement de l’environnement ou à un stimulus extérieur. L’exploration met en évidence la préférence de l’animal pour la nouveauté et permet de la quantifier. Le test en champ ouvert (Open Field) est aussi utilisé afin d’évaluer la mémorisation des repères spatiaux en plaçant des objets à l’intérieur d’une enceinte. Le comportement de l’animal est observé lors de ses recherches de solution: la locomotion, le toilettage, les contacts avec les objets (renifler, mordre) ainsi que l’observation de mouvements stéréotypés

On peut donner des exemples d’exercices qui font appel à l’apprentissage cognitif :

- Rejoindre quelque chose de motivant:
Soit le jouet, soit une friandise, soit le maître.
Selon le chien : on va placer des obstacles à cette recherche, comme des clôtures, un labyrinthe fait de panneaux, ou bien cacher l’objet convoité sous des pots de fleurs en plastique, une bâche, au milieu de personnes assises, au fond d’un seau, etc. A pratiquer à la maison dans les différentes pièces ou en extérieur.

- Cet exercice va faire appel à la recherche visuelle, tactile, olfactive, à la réflexion et l’analyse. Sans s’en apercevoir le sujet travaille la sociabilité, la résistance au stress, la volonté d’exécution, le renforcement d’un exercice en toutes circonstances. Comme la motivation est très forte il « oublie » d’avoir peur !

- Mémoriser des noms d’objets.
On ne peut faire cet exercice qu’avec un chien qui fait le rapport d’objet.
- On dépose une balle et on l’envoie chercher en la nommant « apporte la balle verte », d’abord à vue, ensuite en la plaçant dans une autre pièce. On passe ensuite à un bout de bois, puis à la laisse roulée, etc.
Les objets doivent être très différents au début.
Par la suite, au bout de 5 objets, on va mettre 2 objets et il devra rapporter celui que l’on nomme.
Vous avez compris que l’objectif c’est qu’il différencie un grand nombre d’objets et qu’il puisse les identifier et les rapporter sans se tromper. Certains chiens sont parvenus à mémoriser environ 300 noms d’objets !
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Pour voir un exemple d'apprentissage cognitif dans la maison:

http://www.silvia.trkman.net/

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