« Le roi Eystein avait été chassé de son pays par ses sujets : il y revint avec une armée nombreuse, subjugua les rebelles, et, pour les punir de l'offense commise envers lui, les condamna à reconnaître pour souverain légitime un esclave ou un chien. Les pauvres gens préférèrent le chien. On leur donna donc un dogue qui s'appelait Saur, et qui, dès son avènement au trône, prit le titre de Majesté. Le nouveau roi eut une cour, des officiers, des hommes d'armes, une maison et des flatteurs.
Un philosophe démontra, par les lois de la métempsycose, que l'âme d'un grand homme avait passé dans ce corps de dogue; un grammairien fit voir que ce noble animal pouvait prononcer distinctement deux mots de la langue norvégienne et en aboyer un troisième. Lorsqu'il sortait pour se montrer au peuple il était toujours escorté d'une garde nombreuse, et, lorsque le temps était mauvais, des valets en livrée le portaient sur leurs bras pour l'empêcher de se mouiller les pattes.
Ce chien régna près de trois années. Il rendit plusieurs ordonnances, et scella, du bout de son ongle, des jugements et des édits. Au moment où les habitants de la contrée commençaient à s'habituer à ce singulier roi et à reconnaître ses bonnes qualités de chien, il mourut victime de son dévouement et de son héroïsme.
Un jour il était assis dans un pâturage auprès d'un de ces troupeaux de moulons qu'il avait gardé jadis et qu'il aimait toujours à revoir; tout à coup un loup furieux sort de la forêt et s'élance sur un agneau. Le roi, louché de commisération à la vue de cet attentat, veut courir au secours de l'innocente victime.
Des conseillers perfides au lieu de modérer l'ardeur de son courage, l'excitent à braver le danger. Il se lève, il s'avance sur le champ de bataille, et meurt sous la dent impitoyable de son adversaire. On lui fit des obsèques magnifiques, et on l'enterra près d'une colline qui porte encore le nom de Colline de la Douleur. »