DRESSAGE DU CHIEN DE GUERRE EN 1914

Ce texte est écrit par Xavier Garnier en 1917

"Nous avons pensé que le meilleur moyen d'initier les lecteurs aux mystères du dressage de guerre était de les introduire dans les coulisses d'un chenil militaire, c'est-à-dire dans un parc d'entraînement. Nous allons donc les faire pénétrer dans celui de Joinville-le-Pont qui fut le premier en date.

Les chiens sont déjà sortis de leurs cages et, sous l'œil attentif de leurs dresseurs, attendent le moment de commencer la répétition à laquelle nous sommes conviés.

Il y en a de toutes races et de toutes tailles, car ce serait une erreur profonde de croire qu'une seule race est utilisable.

Les photographies et les gravures ont popularisé le type du berger d'Alsace - jadis nommé berger allemand - qui fut et est encore le plus employé comme chien « sanitaire » ou chercheur de blessés; mais ce chien, dont l'odorat est évidemment d'une grande finesse, n'est pas seul employé comme chien de guerre proprement dit: on a été amené à lui donner de nombreux rivaux de toutes races qui s'acquittent, eux aussi, le mieux du monde de leur tâche délicate, qu'ils soient affectés au service de sentinelle, de patrouilleur ou d'estafette.

C'est une instruction ministérielle du mois de novembre 1915 qui régla le statut des chions do guerre. Elle répartissait le travail entre deux catégories de chenils: ceux de l'arrière et ceux de la zone des armées. Les premiers étaient chargés du recrutement des sujets et de la première partie de leur dressage, qui devait être complétée non loin du front.

Un certain nombre de spécialistes se mirent dès lors à l'ouvrage.

Il s'agissait, d'abord, de régler la question du choix dos races à employer. On crut bien faire en commençant par s'inspirer de ce qu'avaient fait les étrangers quand ils avaient voulu instruire des « sanitaires » et des chiens de guerre. Chacun avait alors présent à l'esprit le souvenir des collies (chiens de berger écossais) qui, employés par les Anglais au Transvaal, avaient fait merveille; des bergers loups, surtout employés en Mandchourie par les Russes, des bloodhounds utilisés par le major Richardson, dachshunds, airedales et chiens d'arrêt à poil ras (braques allemands) employés par les Allemands dans leurs manœuvres et aussi par les Autrichiens lors des mémorables démonstrations canines de Sarajevo. On se rappelait aussi les bouviers dos Flandres dressés en « sanitaires » par le capitaine Tolet.

Mais les Allemands, en envahissant le nord de la France, avaient mis la main sur nos meilleurs chiens de race, les chenils des amateurs et marchands étaient complètement désorganisés par suite de la mobilisation de leurs propriétaires. Comment, dès lors, se procurer des sujets do race déterminée? Il fallut y renoncer et se montrer très peu difficile.

Un préjugé subsista pourtant pendant quelque temps. Certains cynophiles pensèrent que le chien de chasse se laisserait détourner de sa mission dès qu'il sentirait du gibier et alors adieu le message attendu avec impatience par une fraction détachée!

Eh bien, c'est là une erreur aujourd'hui démontrée; lorsqu'il est bien dressé, le chien de chasse en arrive à oublier son instinct primitif, à tel point qu'il passe à côté d'un lapin ou d'un faisan sans même tourner la tête.

Le premier exercice de dressage consiste à faire asseoir et coucher les chiens: il est assez facile et quelques jours suffisent pour obtenir un bon résultat. L'homme prend le chien en laisse et, après avoir commandé « assis! », il force l'animal à prendre cette position en appuyant une main sur ses reins et en tirant la tête en l'air de l'autre main. Pour faire coucher, il passe la laisse sous son pied droit et tire fortement tant que la tête du chien ne touche pas le sol. Toute concession, toute obéissance est récompensée avec des caresses, l'abandon d'un petit morceau de viande ou de pain frais.

Il y a aussi une autre récompense qui consiste on un mot, adopté par la plupart des dresseurs et auquel les cabots sont généralement très sensibles (précisons qu'il s'agit des chiens, pour éviter toute équivoque) et ce mot c'est « bravo! »

Mon Dieu, oui, ce mot « bravo » qui cause à d'autres... artistes une satisfaction intense, produit le même effet sur les chiens... Mais il est bon de savoir que, s'il en est ainsi, c'est qu'au début du dressage, ce mot a toujours précédé l'octroi d'une récompense et que c'est parce qu'il on rappelle le souvenir qu'il met le chien en confiance et en joie.

Quand le chien est déjà un peu assoupli, on s'ingénie à lui faire tolérer le bruit des détonations. Deux procédés, très inégalement efficaces, sont employés pour le dressage des chiens au coup de feu. On peut essayer de les « blaser » on leur faisant entendre un très grand nombre de détonations chaque jour; on peut aussi - et ce système est infiniment préférable - chercher à déterminer dans le cerveau de l'animal une association entre la sensation provoquée par le coup de feu et une sensation agréable déterminée par l'offre d'une friandise bientôt remplacée par une caresse. Dans le chenil que nous visitons, les repas sont toujours précédés d'une salve de mousqueterie. De sorte que les détonations sont bientôt accueillies comme l'annonce d'une bonne nouvelle, celle de la distribution de la pâtée, et qu'elles finissent par mettre les chiens en gaieté.

Lorsque le chien est suffisamment habitué aux coups de feu, on s'occupe du développement de sa vigilance.

Pour ce faire, il faut choisir la situation dans laquelle le chien est le plus méfiant. Or, elle est réalisée quand il est « at home », autrement dit dans sa niche.

On fabrique donc une niche à deux entrées, c'est-à-dire sans paroi de fond. Le chien y est attaché solidement. Le dresseur se place d'un côté, tandis que de l'autre arrive un homme déguisé on soldat allemand. Ce dernier excite l'animal et le dresseur encourage ses grognements, mais en l'empêchant de passer à l'aboiement.

Après quelques leçons, on ferme la niche du côté où vient l'ennemi, on laissant dans la paroi de bois seulement une petite fente par laquelle le chien guette.

Ces exercices constituent le prélude du dressage du chien sentinelle et du chien patrouilleur. Le premier est chargé de veiller à l'entrée de la tranchée.

Quant au second, comme son nom l'indique, il est chargé d'explorer le terrain et de signaler la présence d'un ou de plusieurs ennemis.

Chien porteur de message
Comment obtenir ce résultat?

A première vue, il paraît impossible de réaliser un pareil tour de force. On y arrive, cependant, et voici comment:

On habitue le futur patrouilleur à faire un va-et-vient entre deux carrés de toile assez semblables à des fanions posés à plat sur le sol et sur lesquels il s'assied.

Lorsque le chien est suffisamment habitué à cet exercice, on place sa pâtée sur l'un des fanions que l'on a caché avec soin, et l'on dit au chien: « Va chercher! »

Le chien devient rapidement habile à trouver le fanion qui recèle sa nourriture; le moment est venu de corser l'exercice.

Après avoir laissé quelquefois le chien manger tranquillement sa pâtée, on fait de nouveau intervenir le figurant déguisé en Boche: il se montre au moment où le chien va manger et l'excite. Il n'est pas nécessaire d'être un subtil psychologue pour deviner que l'intrus est mal reçu.

A ce moment, le dresseur rappelle le chien: celui-ci revient en grognant.

Plus tard, on supprime le second fanion et la pâtée: on lance le chien qui rencontre le Boche, puis on le rappelle et on le récompense quand il revient en grognant.

Lorsque ce résultat est obtenu, le patrouilleur est mûr pour la tranchée où il rendra de sérieux services.

Le chien de liaison ou estafette est celui chargé de transmettre un message d'une unité à une autre. A cet effet, le chien porte, à son collier, un petit portefeuille dans lequel est insérée la lettre à expédier.

Nous allons voir maintenant comment s'opère le dressage de ces auxiliaires.

Un premier système consiste à habituer l'animal à connaître deux maîtres qui se le renvoient l'un l'autre en augmentant progressivement la distance qui les sépare et en créant et multipliant entre eux les obstacles. Mais ce procédé est peu pratique, car il nécessite, pour le chien, la connaissance parfaite de deux maîtres et il est assez malaisé d'instruire, sur le front, des conducteurs de chiens; d'autre part, ceux-ci ne pourraient être utilisés que par deux personnes seulement et les services rendus seraient forcément limités.

Le second système, dû à M. Hachet-Souplet, directeur technique do « l'Association française pour le dressage des chiens de guerre », est de beaucoup préférable: il consiste à donner au chien des habitudes reliées à un objet plutôt qu'à la personne du dresseur, ce qui permet au premier soldat venu d'utiliser l'animal.

Cet objet est le fanion dont nous avons déjà parlé à propos dos chiens patrouilleurs et dont on va mieux comprendre l'utilité.

Il consiste en un carré de toile de 0 m. 40 de côté et formé par la réunion de deux triangles, l'un marron, l'autre vert.

Ces couleurs ont été choisies pour que, même à la distance de 40 ou 50 mètres, le fanion soit invisible et que, par conséquent, l'ennemi ne puisse utiliser ce moyen pour attirer les chiens dans ses lignes.

Nous avons vu comment les chiens sont dressés à aller de l'un à l'autre de ces fanions, posés à plat sur le sol et à s'asseoir dessus.

Mais tandis que, pour le chien patrouilleur, la distance séparant les deux fanions est assez rapprochée, l'animal ne devant jamais s'éloigner de son maître, pour les chiens de liaison, au contraire, cette distance est notablement augmentée et atteint plusieurs kilomètres.

Au cours du dressage, on multiplie les difficultés en plaçant le fanion tantôt derrière un mur, tantôt derrière un bouquet d'arbres et on habituant le chien à le trouver.

Le principal avantage du système imaginé par M. Hachet-Souplet est que l'animal, fonctionnant comme une machine, peut être confié à n'importe quel conducteur, même sans connaissances spéciales, à la seule condition qu'il soit porteur du fanion.

De plus, si l'homme chargé de recevoir le message est obligé de s'éloigner un instant pendant l'absence du chien, il n'a qu'à poser le fanion à terre; le chien, après s'être assis dessus, attendra patiemment l'arrivée du destinataire au lieu d'aller à sa recherche.

Il est bon de faire remarquer qu'un chien instruit d'après cette méthode peut, par la suite, être employé sans fanion pourvu que ce soit toujours les deux mêmes hommes qui le fassent marcher. Viendraient-ils à être changés, on aurait la ressource des fanions pour que le chien puisse passer instantanément dans d'autres mains.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de juger de l'utilité des chiens de guerre par l'exposé qui précède.

Et le jour tant désiré où nos héroïques soldats défileront sous l'Arc de Triomphe de l'Etoile, aux bravos qui les salueront, nous en joindrons quelques-uns pour nos vaillants toutous qui, eux aussi, auront bien mérité de la patrie.

Xavier Granier- 15 avril 1917

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